III- LE CONTEXTE D'ÉLABORATION DU LANGAGE

Le langage VRML est assemblé de toutes pièces par les membres de sa communauté, les abonnés de la liste de diffusion www-vrml. Ces membres sont avant tout des internautes58 , et cette identité est importante pour comprendre le comportement au sein de la liste. Pour mieux décrire cette communauté, nous allons nous appuyer sur deux analogies, toutes deux proposés par Mark Pesce à six mois d'intervalle. Nous présenterons ensuite le fonctionnement de la liste dans la pratique, puis nous évoquerons l'avenir de cette communauté.


III-1- L'intelligence collective en action


Une communauté qui fait corps

Un corps en effervescence

    Le langage VRML est entièrement le fruit du travail coopératif de toute une communauté. C'est l'ensemble de la liste de diffusion qui a contribué à l'élaboration du langage. D'ailleurs Mark Pesce, qui pourrait être considéré comme l'initiateur de toute cette aventure, dit lui-même qu'il n'y a pas un inventeur de ce langage, mais plutôt une initiative collective. Il considère que la communauté VRML peut être vue comme un corps constitué d'un ensemble de parties ayant chacune ses buts, ses capacités et ses potentialités propres. Il faut savoir que la communauté VRML est constituée de personnes travaillant à toutes les phases de la production, ce qui lui permet de faire se côtoyer des programmeurs de logiciels graphiques, des graphistes, des programmeurs de navigateurs web ainsi que leurs utilisateurs, et toute une population qui suit le développement de ce langage pour l'intégrer dans son processus de production. Les membres de la liste sont des personnes physiques intervenant en leur nom propre ou au nom de leur entreprise.
   Mark Pesce pousse l'analogie avec un corps en faisant la comparaison avec un arbre. L'arbre est composé de racines, d'un tronc, de branches et d'une couronne de feuilles.


Les racines
    La communauté VRML est née en creusant la terre et en plantant une graine avec le projet Labyrinth. Cette graine a pris racine avec la création de la liste de diffusion et le don d' Open Inventor ; sans oublier la création du groupe d'architecture VRML, le VAG59 . Ce groupe est né à la suite du Siggraph 96 60 , où il devenait clair qu'il était nécessaire de se doter d'objectifs précis et que les propositions deviendraient des spécifications.


Le tronc

   Le tronc, c'est le Cyber-espace, ou plutôt le début de l'expérimentation que l'on peut faire avec VRML. C'est l'ensemble des réalisations qui sont issues de la communauté : les spécifications ainsi que les univers qui servent de figures de proue de cette technologie.


Les branches

    Les branches constituent un espace dans lequel les oiseaux ne peuvent pas se déplacer à leur guise et où il leur faut manoeuvrer pour se poser. C'est un peu le rôle du VAG qui propose une direction à suivre et qui modère l'influence des propositions des sociétés commerciales. Mais, comme pour le Web, il est important de constituer un consortium qui aurait plus d'influence auprès des acteurs extérieurs à la communauté VRML, ce qui permettrait de crée un champ stable et propice au développement de cette technologie en éclatant le VAG en quatre entités : un groupe graphique, un groupe réseau, un groupe navigateur et un groupe multimédia. Ce consortium devrait disposer d'un pouvoir d'arbitrage sur l'évolution des spécifications de VRML et être habilité à certifier les produits dits VRML.


Les feuilles

    La couronne de feuilles est le résultat de l'effort fourni par tout un chacun, souvent en travaillant en marge de sa fonction initiale. C'est l'aura qui s'est créée autour de ce langage, considéré par beaucoup aujourd'hui comme l'innovation du vingt-et-unième siècle.



Une organisation collective du travail

Trois étapes de fonctionnement

   On se rend donc compte de l'importance du rôle de la liste de diffusion dans l'élaboration du langage VRML. Elle est au centre des débats concernant la constitution des spécifications. VRML est le premier langage issu d'un tel travail coopératif et d'une communauté si grande. En effet, on compte aujourd'hui aux alentours de 2 000 abonnés61 à la liste, de tous âges, sexes, pays, cultures, métiers.... C'est d'ailleurs cette diversité qui fait sa richesse. La liste de diffusion est donc la colonne vertébrale de cette communauté. Elle a fonctionné selon trois étapes : connective, collective et corrective. La première étape a consisté en la connexion des membres de la société, la seconde en l'émergence de qualités collectives et la troisième en la correction des comportements.


Connective

    Cette première étape a permis la constitution d'une communauté de travail qui dépasse les frontières commerciales et géographiques par la mise en place de cette fameuse liste de diffusion qui constitue le centre nerveux du corps dont on parlait précédemment. Cette mise en relation de compétences à l'échelle mondiale demandait de respecter quelques règles qui sont celles de la politesse et de la politique. En particulier les indications par rapport à l'éthique, liées au fonctionnement de la liste, sont les suivants :
   Ces règles de savoir-vivre électronique sont indispensables pour le bon fonctionnement de la liste. Il est d'ailleurs intéressant de voir que ce n'est pas toujours le modérateur, mais les utilisateurs eux-mêmes, qui rappellent à l'ordre les auteurs de certains excès.


Collective

    Dans cette seconde étape commence réellement la mise en commun des pensées de chacun. En fait, une fois les intelligences connectées, on aboutit à une intelligence collective qui est imprévisible et qui constitue un tout plus grand que la simple somme de ses parties. Cette communauté a des caractéristiques spécifiques qui la rendent hermétique au syndrome de la propriété de la création puisque la création est collective.
   Cette communauté est incontrôlable. La seule action que l'on puisse avoir sur certains éléments de la communauté est l'influence. Mais le grand avantage d'un tel mode de travail est qu'il est peu probable que le groupe laisse des pistes inexplorées lorsqu'il tente de trouver la solution adéquate à un problème. Ce travail en communauté est aussi la raison pour laquelle il est impossible de donner un auteur à la création de ce langage. On mentionne Mark Pesce comme l'initiateur de cette technologie, avec Tony Parisi et quelques autres personnes de SGI, dont la contribution a peut-être été plus importante, mais c'est bien l'ensemble de la communauté VRML qui est à l'origine des spécifications finales de VRML 1.0 et 2.0.
   Un principe qui se dégage de la courte expérience de cette communauté est que vous pouvez retirer de votre participation à un tel travail collectif une notoriété directement proportionnelle à l'effort que vous y investissez. Ceci s'est d'ailleurs vérifié en décembre 1995 lorsque la société Microsoft a tenté d'imposer à l'ensemble de la communauté sa proposition pour VRML 2.0, développée en solo en marge de la liste Face à elle, la proposition conjointe de SGI, Netscape, Sun, qui est restée une proposition ouverte, a séduit la communauté. Même si ce ne sont pas les seuls critères de choix, ce sont des éléments qui ont probablement pesé sur la balance. Il est au passage intéressant de noter que c'est ce conflit, et donc l'intervention d'un élément perturbateur extérieur, qui a fait prendre conscience de l'existence de cette intelligence collective.


Corrective

    Une fois que l'intelligence collective émerge de cet environnement de connexion, elle commence à s'auto-corriger, ou s'auto-rectifier. Dans le cas de la communauté VRML, cela c'est traduit par la naissance du groupe d'architecture VRML, le VAG, dont l'objectif n'est pas de gouverner, mais de coordonner. Le "correctif" est aussi "protectif", puisqu'il tente de préserver l'intégrité de la communauté. Cette préservation est interne et externe, ce qui veut dire que l'intégrité doit être préservée au sein de la communauté et vis-à-vis de l'extérieur de la communauté. C'est la raison pour laquelle un consortium sera plus adapté que le VAG actuel.
    Cette phase corrective fonctionne comme une sorte de méritocratie, puisque ce sont les membres de la communauté les plus actifs et les plus pertinents dans leurs discours qui sont gratifiés. C'est ce qui s'est passé en grande partie lors du choix de la proposition pour les spécifications de VRML 2.0. Certaines âmes mal pensantes pourraient prendre cela pour du "lobbying", mais c'est de toute façon une pression positive pour la communauté, puisqu'elle suit la direction collective. A l'inverse, un des concurrents, toujours Microsoft, n'a pas daigné consulter la communauté et a proposé sa solution une fois celle-ci terminée sans lui laisser l'opportunité de s'adapter à sa méthodologie. Il ne paye donc pas de pratiquer l'impérialisme en démocratie, puisque la fonction corrective se charge de rappeler à l'ordre ceux qui ont un tel comportement.
   Cette communauté récente s'est constituée dans un but précis qu'elle s'est attachée à poursuivre. Il est intéressant de se rendre compte qu'elle a pris conscience de son existence en tant qu'intelligence collective lors la création du VAG et de son degré de cohésion lorsqu'il s'est agit de se protéger de la menace extérieure. Un peu comme un enfant qui découvre la vie par le biais de ses expériences, cette communauté fait son entrée dans la vie commerciale en essayant de tirer parti de ses premières expériences. Mark Pesce pousse ce raisonnement jusqu'à proposer de remercier Microsoft pour son comportement en indiquant que c'est grâce à cette société que les spécifications actuelles sont si substantielles.



La liste de diffusion

Fonctionnement dans un cas concret

    Comme nous l'avons vu, la communauté VRML est organisée autour de la liste de diffusion "www-vrml". Cet esprit de collaboration entre les membres de la communauté VRML, au sens large, personnes physiques comme sociétés, a été très fort à plusieurs reprises, mais notamment lors des demandes de propositions (ou RFP 63 ) pour l'élaboration des spécifications des versions 1.0 et 2.0. Dans le premier cas, il y a eu quatre propositions, et dans le second, six. Dans ce second cas, ce sont presque uniquement des sociétés commerciales qui ont répondu, alors que dans le premier cas il y avait aussi eu des réponses provenant de centres de recherche universitaires.
   Nous allons maintenant décrire la procédure employée par la communauté sous la direction du VAG pour l'élaboration des spécifications de la version 2 de VRML. Comme dans le cas des spécifications de VRML 1.0, il fallait trouver une solution rapide à mettre en oeuvre. La communauté s'est donc mise d'accord sur un ensemble de fonctionnalités nécessaires pour faire évoluer le langage dans le sens des objectifs initialement prévus. Ce document a été rendu public fin décembre 199564 . Il a engendré six propositions : "Active VRML" de Microsoft, "Dynamic World" de GMD, le centre national Allemand de recherche pour les technologies de l'information, "HoloWeb" de Sun Microsystems, "Moving World" de SGI, "Out of this World" d'Apple et "Reactive Virtual Environment" d'IBM. Ces propositions ont été discutées, testées, dans le cadre d'un dépouillement par la communauté qui a rendu son verdict au travers d'un vote dont les résultats ont été diffusés le 27 mars 1996 65 . A la suite du choix, il fallait encore tenir compte des modifications demandées par les membres de la communauté ; C'est la raison pour laquelle il a fallu passer par une succession de trois brouillons. Ces brouillons ont été rendus publics le 18 avril 1996, le 30 mai 1996 et le 15 juillet 1996 et ont été à leur tour examinés et modifiés pour parvenir à la rédaction du document final sorti le 4 août 1996. Parallèlement à la constitution des spécifications, de nombreuses sociétés travaillent sur le développement d'outils de création ou de visualisation d'univers, proposant des modifications à la lumière de leur expérience et prenant en compte au fur et à mesure celles qui sont adoptées.
    Dans le cas particulier de la seconde version de VRML, le langage a été prévu de manière ouverte, afin de pouvoir créer les noeuds qui pourraient s'avérer utiles avec l'expérience et pour lesquels l'intelligence collective n'aurait pas estimé nécessaire dans un premier temps de définir un noeud spécifique. Ce garde-fou permet de disposer d'un langage suffisamment souple pour pouvoir, à terme, satisfaire l'ensemble des objectifs qui lui étaient fixés à l'origine.


Remarques concernant la liste de diffusion

    Cette liste de diffusion fonctionne comme toutes les autres, c'est à dire qu'un certain nombre de discussions sur des sujets divers peuvent avoir lieu en parallèle, ce qui lui permet d'être au centre de tous les débats concernant cette nouvelle technologie. Elle est composée d'une population très variée, puisqu'on y trouve aussi bien des hommes que des femmes, des adultes actifs ou inactifs, des étudiants ou des adolescents, des programmeurs, des artistes, ou encore des curieux. Les abonnées sont de toutes les nationalités ; parmi les plus représentées : les américains, les japonais, les canadiens, les australiens, les français, les suédois, les allemands, les anglais, les mexicains... Cette diversité de cultures et de compétences renforce la qualité de la communauté. Les sujets sont très variés et ils sont en général discutés, selon le cas, pendant quelques jours ou quelques semaines. On peut englober les sujets de discussions dans trois catégories : ceux qui concernent la création du langage, ceux qui concernent l'utilisation du langage, et enfin ceux qui concernent la vie pratique de la communauté.
    Les messages concernant la création du langage englobent toute la partie conceptuelle liée aux fonctionnalités nécessaires au langage, ainsi que tout ce qui concerne les débats liés aux choix de propositions et de définition des spécifications. En particulier, pendant que la rédaction des spécifications de la version 2.0 touchait a sa fin, les discussions portaient déjà sur l'étape suivante de l'évolution du langage, la possibilité de partager un univers entre plusieurs utilisateurs, chacun étant représenté par des avatars. Ainsi pendant que l'on discutait d'un côté des fonctionnalités du noeud texte, ou de la validation d'un noeud miroir, on essayait d'un autre côté de trouver une solution pour l'implémentation des avatars. Cette fonctionnalité pose effectivement d'énormes problèmes, puisqu'avec les spécifications actuelles, une fois que l'univers est entièrement chargé, il ne s'agit pour le navigateur que de déplacer l'utilisateur local au sein de cet univers. Avec plusieurs utilisateurs, il faut trouver le moyen de réactualiser l'emplacement des avatars de chacun des participants sur chaque site. Il faut ensuite trouver une manière commune de représenter ces avatars permettant d'identifier les différentes parties du corps et de décliner des émotions. Il faut aussi imaginer une astuce graphique ou sonore permettant de discuter avec les avatars. Sans oublier que l'on doit pouvoir ne pas discuter avec l'ensemble des avatars de l'univers, mais avec ceux qui nous sont proche ou avec lesquels on veut avoir une discussion privée, comme c'est le cas dans la réalité : ainsi, lorsqu'on est dans une pièce, on peut ne s'intéresser qu'à une certaine conversation.
   La liste de diffusion sert aussi pour toutes les recherches d'informations concernant l'utilisation du langage : elle permet à ceux qui réalisent des univers VRML de se faire confirmer ou mieux expliquer les spécifications. Du fait de sa relative nouveauté, elle sert aussi beaucoup aux créateurs de logiciels pour obtenir un retour sur leurs produits. Lorsqu'on crée un monde, on ne sait pas réellement si le problème que l'on rencontre est lié à une erreur de spécifications de notre part ou à une mauvaise interprétation de celles du logiciel de création ou de visualisation, ou encore tout simplement à une erreur d'implémentation du langage. Avec la liste, on peut avoir la réponse venant directement de ceux qui ont implémenté les logiciels, ou de personnes qui ont eu le même problème et en ont trouvé la solution. La liste sert donc aussi bien aux créateurs de logiciels pour détecter les irrégularités afin de modifier leurs produits, qu'à ceux qui implémentent les univers VRML pour échanger des astuces permettant de résoudre leurs problèmes, et pour mieux comprendre le fonctionnement du langage.
   La vie de la communauté se retrouve au travers de tous les autres types de messages qui concernent le quotidien de ses membres. On y trouve des conseils pour le choix de produits logiciels, ou de documents de référence. Les sociétés commerciales y font leurs annonces de présentation de produits. Toutes les manifestations concernant la communauté y sont rappelées, et on en discute par la suite, ce qui permet de partager les nouvelles informations. On fixe entre les membres la date de la table ronde annuelle. Les annonces d'offres d'emplois relatifs à VRML sont transmises par la liste. Mais ce qui montre réellement l'identité de la communauté ce sont tous les messages relatifs à la vie de tous les jours : ainsi, lors du salon Siggraph 96, certains membres se sont donné rendez-vous sur place, d'autres se sont échangé des invitations pour le salon, et auparavant certains avaient même donné des conseils pour l'hôtel à choisir. Dans un autre registre, certains ont appris qu'une fusillade avait eu lieu dans un laboratoire d'université et ont demandé si un membre de la communauté était concerné. D'autre part, lorsque le serveur qui contenait la liste a été déménagée pendant un week-end, il n'a donc pas fonctionné pendant un jour ; lors de sa remise en route on pouvait lire un certain nombre de messages concernant cet incident indiquant l'attachement des membres à cette communauté. La vie de la communauté, c'est aussi la mobilisation pour aider à l'implantation du consortium, qui permettra de garantir une autonomie plus forte de la communauté. Mais c'est encore et surtout cet enthousiasme permanent qui se lit au travers du discours souvent humoristique, et ce respect de l'autre, qui comme dans la réalité tente de tenir compte des différences culturelles, du sexisme ...



    En résumé, la liste de diffusion est l'outil de connexion de la communauté qui collabore à la confection du cyber-espace de demain. Cette manière de travailler collectivement annonce la sortie de l'âge de l'ingénierie logicielle et matérielle et l'entrée dans l'âge de l'ingénierie sociale. C'est d'ailleurs toute l'essence d'Internet.





III-2- "Petite technologie deviendra ... commerciale"



Une technologie observée de très près

Un micro-marché

   Le langage VRML engendre déjà un petit marché. En effet, pour créer les fichiers VRML, il existe des modeleurs. Soit ces modeleurs ont été créés spécifiquement pour la modélisation d'univers VRML, soit ce sont des modeleurs existants qui permettent d'exporter les fichiers au format VRML. Il existe aussi des convertisseurs qui transforment les formats de fichiers 3D au Format VRML, et l'on voit apparaître des convertisseurs qui fonctionnent dans l'autre sens. Une fois que le fichier VRML est construit, il est nécessaire de posséder une application qui l'interprète. Ces applications sont de trois natures : ce peut être une application complémentaire à un navigateur existant, écrite pour visualiser l'univers 3D dans le navigateur, et on parle alors de "plug - in" ou d'"add-on" selon qu'elle concerne Navigator ou Internet Explorer 66 ; il peut s'agir d'un logiciel spécifique à la lecture du format de fichier VRML, un navigateur dédié ; la dernière possibilité est un navigateur qui est directement compatible avec le format VRML, et qui lit aussi les autres formats Internet, par exemple les pages HTML, ou qui intègre des extensions propriétaires comme des fonctionnalités multi-utilisateurs.
   Il existe donc une petite industrie qui s'occupe de la création de tous ces logiciels, et qui collabore très étroitement au développement des spécifications pour fournir des logiciels toujours plus performants dans les meilleurs délais à l'ensemble de la communauté. On se trouve en présence d'une communauté extrêmement réactive puisqu'elle est capable de produire en parallèle les spécifications d'un langage et les produits dérivés de ces spécifications. C'est d'ailleurs aussi une des raisons pour lesquelles il est important que la communauté prenne un peu de recul et commence à construire le cyber-espace. En effet, les briques actuellement disponibles sont assez solides pour s'attaquer à ce nouveau chantier.

[ville VRML]

Exemple de l'utilisation de VRML dans un projet architectural



Les sociétés concernées

    En règle générale les sociétés commerciales qui se sont intéressées à ce micro-marché viennent du développement de logiciels graphiques ou de logiciels spécifiques à Internet. Mais il existe aussi des sociétés qui se sont créées autour de ce marché. Les plus grands noms du développement de logiciels 3D se penchent sur cette technologie naissante, ainsi que les développeurs d'outils réseau, qui voient dans ce langage le moyen de rendre les interfaces de communication sur le réseau plus naturelles.
   Au départ, la communauté a bénéficié du don de la librairie graphique de SGI, mais cette société en est restée là jusqu'à ce qu'en janvier 1995, Robert Wiedeman, de Template Graphics Software, une société qui adapte les produits de SGI pour d'autres plates-formes, décide SGI à créer un navigateur VRML ; c'est la naissance de "WebSpace", qui sortira le 3 avril 1995, et qui marquera la montée en puissance de SGI au sein de la communauté.
   De son côté Tony Parisi, le programmeur de Labyrinth, a formé sa propre société, Intervista Software, Inc., qui développe des outils pour la constitution d'univers VRML et la navigation dans ces univers. Il est lui aussi toujours très actif au sein de la communauté.
   C'est là le début de l'entrée en masse des industriels du logiciel dans la communauté VRML. Le tableau ci-après fournit la liste des principaux acteurs commerciaux qui investissent plus ou moins sur cette technologie. La liste n'est pas exhaustive, mais présente les sociétés les plus présentes au sein de la communauté.


Société Date de création Origine Produits Plates-formes
Apple 1976 Matériels et logiciels 3DMF (un standard d'échange informatique de fichiers graphiques) MacOS / Windows / Unix
Autodesk, Inc. 1982 Modélisation 3D, la section multimédia est prise en charge par l'unité Kinetix Hyperwire (logiciel de création de pages Web en 2D et 3D), 3D Studio MAX (modeleur 3D VRML compatible), Topper (plug-in pour Netscape) Windows
Black Sun Interactive 1995 Développement des technologies du cyberespace CyberHub (MUD browser VRML compatible), CyberKit (modeleur VRML) Windows
Caligari Corporation. 1986 Création d'outils pour la 3D en Ligne Pioneer (logiciel de modélisation et visualisation VRML) Windows
Chaco Communications Inc. 1995 Développement de logiciels pour Internet VRScout (browser spécifique VRML) Windows / Windows NT
Dimension X 1995 Développement de logiciels pour Internet Liquid Reality (browser spécifique VRML) Windows / Sun Solaris / Linux / Windows NT / SGI Irix
IBM 1914 Matériel bureautique puis informatique Système de compression des fichiers VRML Windows / IBM AIX / IRIX
InterVista Software, Inc. 1995 Développement de logiciels pour la 3D sur Internet WorldView (browser spécifique VRML) Windows / MacOS
Microsoft 1975 Logiciel de programmation, de bureautique et système d'exploitation Internet Explorer (browser compatible VRML dénommé ActiveX Animation) Windows / Windows NT / MacOS
NCSA 1986 Centre universitaire de recherche logiciel VRweb (browser spécifique VRML) Windows / Windows NT / HP-UX / SUN / SGI IRIX / DEC / LINUX / IBM AIX / MacOS
Netscape Communications 1994 Browser Internet Live 3D (plug-in pour Netscape) Windows / MacOS
OZ Inc. 1990 Développement d'outils de modélisation 3D Oz Virtual (Browser VRML pour MUD), Soft2VRML (traduction de fichier softimage en VRML) Windows / Windows NT
Paper Inc. Société rachetée par Netscape WebFX est devenu Live3D Windows / MacOS
ParaGraph International 1988 Société russe de développement de modeleurs 3D Virtual Home Space Builder (logiciel de modélisation VRML) Windows / Windows NT
Silicon Graphics Inc 1986 Matériel informatique dédié à l'image de synthèse Webspace (browser spécifique VRML 1,0), WebSpace Author (logiciel de modélisation VRML) SGI / Windows / Windows NT / SUN Solaris / ZX/TZX / IBM AIX / MacOS / Digital Unix / HP/UX
Silicon Graphics, Inc CosmoPlayer (browser spécifique VRML 2,0) CosmoCreate (modeleur spécifique VRML 2.0) SGI / Windows/ Windows NT
Sony Corporation 1946 Matériel électronique grand public (audio, vidéo, TV, et composants électroniques) prise en charge par l'unité Information Technology Company Community Place (MUD browser compatible VRML - ancien nom : Cyber Passage), Community Place Conductor (logiciel de modélisation VRML) Windows
Superscape 1986 Logiciel graphique 3D temps réel Viscape (plug-in pour Netscape) Windows
Template Graphics Software 1982 Outils de développement 3D Direct3D racheté par Microsoft Windows
Virtus Corporation 1990 Outils de visualisation d'univers 3D de réalité virtuelle Virtus Voyager (browser spécifique VRML), Virtus WalkThrough (logiciel de modélisation VRML) Windows / MacOS
Tableau récapitulatif des entreprises engagées dans le développement de VRML (Suite)



    Cette liste montre s'il en était encore besoin le nombre de sociétés commerciales qui ont investi et parié sur le développement de cette nouvelle technologie. Quand on se souvient que cette technologie n'a que deux ans, et qu'elle vient à peine d'atteindre une forme conséquente, on se rend compte de l'impact qu'ont eu les évolutions du langage.


La confiance se mérite

    Comme dans le cas d'une relation entre deux individus, il ne suffit pas d'être présent pour obtenir le respect de l'autre. Dans un premier temps, la relation se construit sur un a priori, puis dans un second temps la confiance s'établit à force de travail mutuel. Les relations au sein de cette communauté sont les mêmes. En effet les sociétés comme SGI, Apple ou IBM, qui bénéficient d'un a priori favorable n'ont pas eu de mal, surtout du fait du travail qu'elles ont fourni, à se faire une place au sein de la liste. D'ailleurs il est intéressant de noter que ces sociétés ont rapidement pris le parti de faire corps avec la communauté VRML, et, lorsque le choix de VRML a été fait, elles se sont ralliées à la proposition de SGI.
   Par contre une société comme Microsoft, qui bénéficie d'une image plutôt négative au sein de la communauté Internet n'a pas réussi à séduire la communauté VRML. L'appréhension vis-à-vis de cette société vient du fait de son quasi monopole sur les plates-formes PC, et de sa volonté affichée de préserver ce monopole en élargissant son rayon d'action, ce qui est une philosophie contradictoire avec les concepts de base d'Internet. De surcroît, elle n'a pas collaboré avec la communauté, mais a préféré proposer une solution clé en main en affirmant que c'était la meilleure solution possible. Ce coup de poker agressif n'a pas pris auprès des membres de la liste, et au contraire a permis de renforcer les liens entre ses membres. Cette stratégie est toujours présente dans les esprits, puisque lorsque Microsoft a récemment annoncé qu'il se ralliait aux spécifications officielles de VRML 2.0 en présentant sa gamme de produits Internet, les réactions ont été assez vives sur la liste. Alors que cette annonce devrait réjouir les membres de la liste puisqu'elle marque une victoire de la communauté VRML, celle-ci a le sentiment que c'est bien une victoire qui a été gagnée, mais pas la guerre, et que cette victoire est une manoeuvre permettant à Microsoft de reculer pour mieux sauter. Les plus optimistes67 estiment tout de même que le cyber-espace est assez grand pour tout le monde aussi bien au niveau des utilisateurs que des concepteurs, et que l'entrée en lice de Microsoft permettra au moins d'élargir la population d'utilisateurs.
   Une autre solution pour s'intégrer au sein de la liste est de passer des accords avec les sociétés qui y sont introduites. C'est plus ou moins l'option qu'a prise le laboratoire de recherche de Sony, qui a apporté son soutien à la proposition MovingWorld dès le début, et qui a joué un rôle important dans le développement de logiciels compatibles VRML 2.0. Ces jeux d'alliances commerciales sont très importants puisqu'ils indiquent le niveau d'implication de ces sociétés, qui préfèrent s'allier, si possible avec le bon cheval, plutôt que de se retrouver toutes seules. Ainsi toutes les sociétés qui ont présenté une proposition pour VRML 2.0, mis à part Microsoft, se sont ralliées à la proposition de SGI lorsque celle-ci a été choisie. C'est une sorte de communauté de sociétés commerciales qui tentent de faire corps au sein de la communauté VRML. En plus de l'objectif prometteur que la liste poursuit, c'est sa non appartenance commerciale qui séduit ces entreprises.
    La confiance est donc réciproque puisque les grandes sociétés commerciales rentrent dans ce jeu de la collaboration en proposant des produits pour améliorer la technologie. Apple propose par exemple un format de texture et de formes géométriques, et IBM un format de compression des formes géométriques. Aux dernières nouvelles, ces deux sociétés collaborent afin de proposer une solution commune de compression de fichiers VRML. Il semble donc que l'objectif d'élaboration d'une nouvelle technologie prime sur l'aspect commercial ; c'est que la rentabilité de l'investissement est à moyen ou long terme, et qu'il est difficile à de jeunes sociétés d'assumer seules de tels investissements. C'est pourquoi les plus petites sociétés proposent, quant à elles, des produits commerciaux qui sont pour la plupart bien appréciés par la communauté, même si la diversité n'est pas encore de rigueur.



Une technologie à la veille d'une expansion commerciale

Le calme avant la tempête

    Considérant l'intérêt que de nombreuses sociétés portent à VRML depuis le début de cette aventure, alors qu'il vient à peine de naître sous une première forme satisfaisante pour le développement d'univers interactifs, il risque d'y avoir une réelle explosion de la technologie VRML dans les mois qui vont suivre. En effet ce devrait être le moment pour les sociétés qui ont investi dans ce domaine de commencer à chercher un retour sur investissement.
    Nous nous trouvons donc sans doute à la veille d'une offensive commerciale. Si la sortie des spécifications de VRML 1.0 n'a pas eu de telles conséquences, c'est que les fonctionnalités étaient encore réduites. Mais avec les spécifications de la version 2.0, et compte-tenu du potentiel de ce langage, les applications devraient pouvoir être extrêmement diversifiés. Cette situation de concurrence commerciale risque de changer certains comportements au sein de la communauté, mais ce sera le moyen de vérifier sa pérennité.


Chêne ou roseau

    Le problème qui va se poser aux membres de la communauté VRML est de savoir si les intérêts de la communauté primeront sur ceux des sociétés commerciales. En effet la communauté n'a pour l'instant dû essuyer qu'un seul affront, et même si elle en est sortie vainqueur, on ne sait pas réellement si le corps que représente cette communauté est plus proche de la souplesse du roseau, ou de la puissance du chêne, pour reprendre l'image de la fable de Jean de la Fontaine. Les comparaisons successives, à près de six mois d'intervalle, de Mark Pesce avec un corps, puis avec une série d'étapes conceptuelles, laissent à penser que la communauté est mure, puisqu'elle est passée du corps à l'esprit. Il semble que cet esprit de communauté soit très fort, ancré dans les racines de l'Internet, et qu'elle saura donc faire face à ce nouveau défi. En effet avec la création du consortium, qui est en cours, la communauté se dote d'un moyen de préserver un droit de regard sur l'emploi du terme "VRML", et l'on peut imaginer une sorte de labélisation pour garantir les produits qui sont totalement compatible avec les spécifications VRML 1.0 et VRML 2.0.



[Sommaire]

"www-vrml" Une communauté virtuelle créatrice du cyber-espace
Mémoire de DESS MEI - Benoît SUZANNE ©1996