La réalité virtuelle est une idée très séduisante et porteuse d'avenir, mais l'emploi de cette technologie est jusqu'à présent resté confiné à des univers froids, non amicaux ou non familiers, et surtout inconfortables si l'on voulait expérimenter une immersion complète dans des univers virtuels. Un compromis a donc été trouvé, pour rendre les expériences virtuelles plus simples, avec le développement de la réalité virtuelle de bureau d'un côté, et les expériences de rencontres virtuelles multi-utilisateurs de l'autre. L'objectif de la technologie VRML est de combiner ces deux approches et d'utiliser Internet comme support technologique de communication.
Le langage VRML semble être une solution viable pour de nombreuses sociétés à travers le monde. En particulier, en France, certaines entreprises se penchent déjà sur cette technologie : c'est le cas d'EDF-GDF, qui utilise ce langage pour la modélisation de données complexes dans le cadre des formations internes ; c'est aussi le cas de l'IFP, Institut Français de Pétrole, qui travaille en collaboration avec la société Géomath pour modéliser des données d'analyse géophysique des sols.
Malheureusement, il est difficile aujourd'hui de prévoir l'impact que pourra avoir cette technologie, puisque, quoiqu'en pense Tim Berners-Lee, l'utilisation d'interfaces en trois dimensions n'est peut-être pas l'approche la plus naturelle pour nous aujourd'hui. Il faudra probablement un temps d'adaptation à ces nouvelles formes de communication. Par contre, l'impérialisme de l'image, qui domine notre ère avec l'avènement de la communication visuelle, permettra probablement d'accélérer ce processus.
L'utilisation de l'image sur les réseaux pourrait d'ailleurs apparaître comme un moyen de détrôner la forte influence de la culture anglo-saxonne sur Internet. Pourtant, même si Mark Pesce propose le langage VRML comme une réponse à cette influence, il faut se rendre à l'évidence : la langue officielle du cyber-espace , c'est l'anglais. En effet toutes les documentations, tous les tutoriels, toutes les discussions de la liste www-vrml sont en anglais. Et, avec la version 3.0 de ce langage, les échanges entre les utilisateurs se feront bien évidemment en anglais, qu'il soit parlé ou écrit.
Le DESS MEI nous a appris à ordonner les informations que l'on obtient selon quatre types de logiques : la logique des éditeurs, la logique des techniques, la logique des pratiques et la logique des normes. Nous pouvons maintenant appliquer cette grille des logiques aux informations analysées dans le cadre de ce mémoire concernant le langage VRML et la communauté qui l'a créé. En ce qui concerne l'analyse du langage VRML :
- La logique des éditeurs est d'assurer une présence forte, puisque de nombreux industriels de l'informatique, qu'ils soient fabriquants de matériel ou de logiciel, ont investi dans cette technologie à l'avenir prometteur, au simple vu du cahier des charges, alors que tout restait encore à faire.
- La technique est conforme à ses origines de langage de modélisation d'univers en trois dimensions pour une diffusion sur le réseau Internet. Elle hérite donc d'une librairie graphique pour la visualisation et de la relative simplicité des scripts pour le transfert des données sur le réseau.
- On se rend compte que l'on est en présence d'un langage jeune, par rapport auquel nous ne possèdons pas encore assez d'expérience pour pouvoir en extraire des éléments relatifs à la logique des pratiques.
- Le langage rentre dans un cadre strict de normalisation, avec des spécifications explicites relatives à ses différentes versions et une normalisation ISO qui permettra de renforcer le pouvoir du VAG, ou du futur consortium, dans sa tâche de labellisation.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'analyse de la communauté qui est l'origine de VRML :
- Les éditeurs ont tendance à se fondre au sein de la communauté, et en particulier à apporter un support de type technique à la matérialisation des concepts qui y sont élaborés.
- Techniquement, cette communauté est une communauté virtuelle qui emploie le réseau Internet comme support de communication entre ses membres. C'est en effet une liste de diffusion qui rassemble virtuellement des personnes de différents profils autour du même sujet, VRML.
- Les membres de la liste de diffusion sont solidaires par rapport à l'objectif, qui est de faire progresser les spécifications du langage ; les discussions sont toujours polies et très souvent pleines d'humour. Ce mode de fonctionnement apporte, grâce à la diversité des participants, une vision exhaustive des problèmes que la communauté tente de résoudre.
- Le VAG, organisme créé par les membres de la liste pour faciliter la tâche du groupe, est en particulier chargé de valider les versions officielles du langage. Il est aussi chargé de modifier les spécifications de VRML 2.0 pour la normalisation ISO.
La relative nouveauté de cette technologie a permis jusqu'à ce jour de préserver l'authenticité de la communauté VRML, qui a travaillé sereinement à la rédaction des spécifications du langage du même nom. Maintenant que la première pierre (les spécifications de VRML 2.0) de la construction du cyber-espace a été posée sur ses fondations (Internet et les spécifications de VRML 1.0), nous allons pouvoir voir grandir cet édifice, ou plutôt cette technologie. D'ailleurs, Mark Pesce s'est fixé un objectif : << voir la terre en VRML avant la fin de cette décennie >>. Mais le problème reste de savoir si la communauté VRML saura préserver l'authenticité qui lui a permis de créer ce langage et de rayonner sur l'ensemble de la communauté Internet. On commence d'ailleurs à voir sur la liste des messages concernant cette question d'authenticité. Et si Rome ne s'est pas construite en un jour, le cyber-espace ne le sera pas non plus, car le chemin sera très certainement semé d'embûches, techniques, économiques, morales ... que la communauté devra savoir éviter si elle veut atteindre son objectif premier.
Le fonctionnement de cette communauté d'internautes est un exemple à suivre de travail collaboratif dans le sens où son succès dans l'atteinte de ses premiers engagements encourage les actions de ce type. De surcroît, l'objectif premier de la communauté n'est pas financier, bien qu'elle compte parmi ses membres les plus actifs un grand nombre de sociétés commerciales. Par contre, il est probable que cette technologie aura des retombées économiques positives pour certains de ses membres, même si le désir qui anime la communauté en tant que telle est avant tout de pouvoir construire le cyber-espace de demain et non d'en tirer profit.
Ce travail en communauté, que Pierre Lévy nomme l'intelligence collective, transforme l'ingénierie traditionnelle en une ingénierie sociale. Le déroulement du processus de production n'est plus imposé par la hiérarchie et optimisé pour le meilleur rendement, mais plutôt négocié par l'ensemble des membres. Cette forme "d'anarchie organisée" fait régner en maître la persuasion. Ceci permet de se rendre compte que le principe fondateur de cette communauté virtuelle peut aussi être son talon d'Achille. Il faut donc être confiant en la nature humaine et compter sur la foi d'une forte partie de ses membres si l'on veut croire en son avenir. Mais il ne faut toutefois pas oublier que l'ensemble de ses membres sont des internautes confirmés, et donc des technophiles qui n'ont pas d'appréhension face à toute l'infrastructure technologique qui permet la connexion des membres du groupe. Si cet exemple est pour l'instant encourageant, et qu'il va dans le sens du développement de l'intelligence collective, il ne permet pas de mesurer l'importance de cette barrière technologique qui risque d'effrayer des personnes moins familières avec les outils en cause, mais que les nouvelles générations sauront très certainement surmonter.
Enfin, pour ne pas terminer sur une note pessimiste, il est bon de rappeler que c'est avec ce type d'expériences que nous pourrons perfectionner l'utilisation du cyber-espace, et que techniquement, l'utilisation de cet espace de communication deviendra de plus en plus naturel, grâce notamment à la mise au point de technologies comme VRML.
[Sommaire]
"www-vrml" Une communauté virtuelle créatrice du cyber-espace
Mémoire de DESS MEI - Benoît SUZANNE ©1996